Nouvelles du front contre Boko Haram
Les stigmates de l’attaque du 15 octobre dernier dans cette localité proche de la frontière avec le Nigeria sont encore visibles. L’armée veille au grain.
Dans le département du Mayo-Sava, région de l’Extrême-Nord, sur la route poussiéreuse qui mène au camp de l’armée camerounaise à Amchidé, non loin de la frontière avec le Nigeria, des hommes à vélo tiennent en respect un suspect qui détient trois téléphones portables. Il a les yeux bandés et les mains attachées derrière à l’aide d’une étoffe bleue. Faisant signe de la main, les villageois demandent au convoi militaire qui arrive de s’arrêter. Compte tenu de la situation, les soldats s’exécutent immédiatement et récupèrent l’infortuné qui est aussitôt embarqué à l’arrière de l’une des Toyota land Cruiser équipée d’une mitrailleuse lourde. Cette prise vaut son pesant d’or car l’individu sera exploité pour décrypter le mode opératoire de Boko Haram. La scène se déroule le 5 novembre 2014, peu avant midi. Quelques minutes après, le convoi escortant les journalistes, casques à la tête et gilets pare-balle autour du thorax, arrive au camp. Nous sommes en zone dangereuse. La ville proche de Banki, dans l’Etat du Borno au Nigeria voisin, est située à seulement 1,3 km de là, nous apprend un officier qui présente d’un ton ferme les consignes de sécurité que la presse doit observer pendant son bref séjour sur les lieux. Presque toutes les composantes de l’armée camerounaise sont représentées dans cette forteresse : Bataillon d’intervention rapide (BIR), bataillon blindé de reconnaissance, Génie militaire, régiment d’artillerie sol sol, etc. Sur les miradors et les blindés postés à l’extérieur, les soldats veillent au grain et scrutent l’horizon en direction de la frontière, à l’aide de longues-vues. La détermination se lit sur leur visage. Le capitaine, chef du détachement d’Amchidé, explique aux journalistes à l’entrée de la base ce qui s’est passé lors de l’attaque du 15 octobre 2014. Il montre la carcasse calcinée d’un char portant l’estampille 211 DB (division blindée). Parmi les journalistes représentant certains médias nationaux et étrangers, des interrogations fusent sur le pays ayant fabriqué l’engin d’assaut, et comment Boko Haram a procédé pour s’en procurer. Quelques mètres plus loin, gisent également les restes d’un pick-up des assaillants carbonisé. Puis, l’officier raconte que « le 15 octobre dernier, à environ 16h15, la deuxième mi-temps du match Cameroun-Sierra Leone venait de commencer, lorsque nos avons entendu une forte explosion ». Regardez de l’autre côté où les arbres sont asséchés, poursuit-il, avant d’expliquer qu’il s’agit d’un véhicule piégé qui est sorti du village, derrière la Brigade de gendarmerie, a percuté un autre et a explosé. Dans le même temps, ajoute le chef du détachement, ce char et ce pick-up, sortis aussi du village à vive allure, ont foncé tout droit sur le camp. Fort heureusement, les soldats camerounais les ont neutralisés. Mais, il restait, d’après notre source, à venir à bout des hommes à pied et des véhicules d’attaque juste derrière la gendarmerie en face. Ayant constaté que les deux premiers engins ont été détruits, déclare le capitaine, les membres de la secte Boko Haram ont replié et pendant plus de trois heures, jusqu’à la tombée de la nuit, des échanges de tirs ont eu lieu, à la roquette anti-personnel, au calibre moyen et au petit calibre. Malheureusement, huit morts ont été enregistrés parmi nos soldats et plus de 200 assaillants ont été abattus, après le décompte fait le lendemain, 16 octobre. Quant aux dégâts matériels, le portail du camp, criblé de balles, a été remplacé et un pan du mur détruit a été reconstruit. Tranchée Sur cette ligne de front, le camp d’Amchidé apparaît ainsi comme un verrou stratégique, « un bouchon qu’il faut pouvoir faire sauter absolument avant de pouvoir conquérir le territoire camerounais », analyse un soldat. Tirant les leçons de la dernière attaque du camp, les forces de défense, grâce à un engin du Génie militaire encore à l’œuvre, ont creusé une grande tranchée pour en empêcher l’accès. Cet obstacle cerne le camp à la ronde sur 360 degrés. Mais, nos soldats ne baissent pour autant pas la garde. D’autant plus qu’il y a toujours des incursions et des coups de feu sporadiques au quotidien. « Nous envoyons une patrouille quand on nous annonce qu’ils (les assaillants) approchent. Puis, ils se dispersent et rentrent chez eux », affirme le capitaine. Pour pouvoir anticiper sur les événements, il doit compter sur la collaboration des populations locales qui vont et viennent. Leurs renseignements sont précieux. Des comités de vigilance existent à cet effet. Cependant, la scène vécue grandeur nature à l’arrivée des journalistes, lorsqu’un suspect a été livré, n’est pas monnaie courante, nuance un colonel, désolé de dire « qu’il y en a qui sont avec nous mais il y en a aussi qui ne sont pas avec nous ». Toujours avides d’informations, les journalistes souhaitent aller plus loin vers la frontière. Niet, leur répond le lieutenant-colonel Didier Badjeck, chef de division de la Communication au MINDEF, qui leur rappelle que « nous sommes sur un champ de bataille. Je ne voudrais pas mettre vos vies en danger. Nous, les soldats, nous avons vocation à mourir fièrement quand c’est nécessaire ». Il fait savoir que les troupes amassées le long de la longue frontière avec le Nigeria veillent sans relâche sur l’intégrité du territoire camerounais depuis que les incursions de Boko Haram ont commencé. « Nos forces de défense exécutent à la lettre l’ordre qui leur a été donné par le chef de l’Etat, chef des armées. Nous sécurisons tout le territoire pour que la souveraineté nationale soit contigüe sur sa totalité. Nous avons la situation en main. Nous percevons qu’il y a une graduation de la menace et nous apportons les réponses appropriées », conclut le lieutenant-colonel. Depuis le début des opérations, il comptabilise un millier de membres de la secte islamiste Boko Haram tués pendant leurs attaques en territoire camerounais, et 32 morts du coté de nos forces de défense.