Secteur immobilier: Au cœur d’une arnaque à ciel ouvert à Douala
Se faisant passer pour des agents immobiliers, certains aventuriers ont mis en place un système bien huilé pour dépouiller les habitants de la capitale économique en quête de logement.Se faisant passer pour des agents immobiliers, certains aventuriers ont mis en place un système bien huilé pour dépouiller les habitants de la capitale économique en quête de logement.Enquête dans ce secteur d’activité encore très peu connu dans la société camerounaise.
1.- Des arnaqueurs déguisés
«Chambre moderne à louer», « studios, appartements, villas et maisons à louer», « studio moderne 15 à 25 000Fcfa, magasins, boutiques». Difficile de faire un pas dans les différents quartiers de la capitale économique sans trouver ces petites plaques d’annonce qui portent de telles informations. Ces « petites annonces » sont écrites en gros caractères soit sur des murs ou des portails de maison, soit sur des petites pancartes accrochées aux poteaux électriques ou installées devant des boutiques et magasins. Même installées devant une échoppe, il est difficile pour les propriétaires des lieux de donner le moindre renseignement à ce sujet, malgré le fait que la plaque est plantée devant ses locaux. « Appelez le numéro qui est affiché sur la plaque », dans le cas contraire, « je vais vous fournir le contact de l’agent immobilier en question », rétorque-t-il à la question de savoir où est situé le logement qui cherche locataire.
Au quartier d’Ange Raphaël, milieu estudiantin, ces affiches ravissent la vedette aux panneaux publicitaires. Il est environ 10 heures vendredi 28 mars 2014 lorsqu’au cours de ce reportage, nous faisons la connaissance de Liliane Tawamba. Etudiante dans un institut de la place, elle est à la quête d’une chambre moderne dans ce quartier populaire. Après une balade sans succès au cœur de cette cité universitaire, nous faisons la rencontre d’Alain qui se propose de nous aider. « J’ai aperçu une annonce chez le boutiquier du coin. Je vais vous y conduire parce que je suis certain qu’il va vous aider à trouver une chambre », nous confie-t-il. La rencontre avec le boutiquier en permettra d’obtenir le numéro de téléphone d’un supposé « agent immobilier », qui dispose de plusieurs chambres modernes non seulement dans le secteur, mais également dans les quartiers environnants.
Le rendez-vous avec notre agent immobilier est pris quelques minutes plus tard, à quelques mètres plus loin. « J’ai à ma disposition près de 15 chambres modernes et simples. Il y a également des studios et des appartements. C’est à vous de choisir, soit les mini-cités soit dans l’immeuble ou l’inverse. Toutefois nous irons sur le terrain et vous ferez votre choix. Mais avant, vous allez me payer mon déplacement. Comme vous avez besoin d’une chambre, vous allez me payer la somme de 3 000 Fcfa, comme frais de visite. Et si on trouve un logis qui vous convient, j’aurai droit à une commission égale au frais mensuel de votre loyer », avise l’agent immobilier qui se fait appeler Pascal. Après les négociations, nous lui remettons 2 000 Fcfa. C’est alors que commence une longue promenade au cœur de la cité estudiantine. Notre guide nous fait faire des tours sans destination concrète. Nous sommes parfois chassés par des bailleurs ou traités comme des bandits dans certaines mini-cités. Une à deux heures après, Pascal reçoit un autre coup de fil, prend un autre rendez-vous et nous annonce la fin de notre randonnée. « Si vous voulez revenez demain avec 2 000 Fcfa et on va poursuivre les recherches. J’ai un rendez-vous urgent », affirme t-il avant de partir sur une moto. Pas l’ombre des chambres, studios.
Liliane n’est pourtant pas la seule victime de ces opérateurs véreux qui affichent en permanence des annonces le long des rues de Douala. Selon un « agent », rencontré au cours de cette enquête qui a requis l’anonymat, le quartier Ange Raphael à lui seul, regorge plus d’une cinquantaine de jeunes chômeurs en quête du pain quotidien qui se font passér pour des agents immobiliers. « C’est une activité qui rapporte beaucoup de sous. Je gagne en moyen ne 50 000 F Cfa par jour grâce à mes courses. Les frais de déplacement varient entre 2 000 (chambres), 5000 (studios et appartements) et 10 000 Fcfa (maison) selon la demande du client », confie notre interlocuteur. Un moyen pour la plupart des jeunes en quête d’emploi de se faire un peu de sou. A en croire le délégué régional de l’habitat et du développement urbain, même si les statistiques sont inexistantes, le nombre d’aventuriers dans ce milieu, qui pourtant est un secteur d’activité bien réglementé est sans cesse croissant.
2.- Un secteur en plein essor
S’ils sont plus d’une cinquantaine qui exercent illégalement sur le terrain, la ville de Douala à elle seule regorge, selon le délégué régional de l’Habitat et du développement urbain, Aboubakar Ngalam, environ trente agents et promoteurs immobiliers légalement reconnus. « La délégation régionale travaille en collaboration avec les professionnels du secteur immobilier afin d’assainir ce secteur. Depuis un certain temps, les missions d’assainissement se faisaient de façon régulière sur le terrain, en ce moment précis, les aventuriers ont lâché prise. Mais depuis que nous nous sommes retrouvés dans une situation où on ne pouvait plus continuer cette mission, ils ont encore gagné du terrain. Mais nous sommes en train de vouloir relancer cette opération et également dans toutes les villes de la région du Littoral », confie Aboubakar Ngalam.
Il est question pour l’administration, en association avec les promoteurs et les vrais agents immobiliers, de se mobiliser pour aller en guerre contre ces « arnaqueurs». Selon Victor Djiakoua, promoteur immobilier basé à Douala, ces personnes véreuses sont les principaux concurrents des opérateurs légaux qui évoluent dans le secteur immobilier au Cameroun. « Bon nombre d’opérateurs immobiliers évoluent dans l’illégalité, pourtant, l’administration a bien voulu organiser ce secteur d’activité. Il y a dans ce secteur des agents immobiliers, bien distincts des promoteurs immobiliers. Mais dans notre ville c’est l’amalgame. Nous n’avons pas les moyens pour traquer les opérateurs clandestins. Ce n’est que le gouvernement qui peut mener cette lutte », déplore Victor Djiakoua. Pour de nombreux agents immobiliers rencontrés au cours de notre reportage, c’est beaucoup plus un moyen de se remplir les poches que toute autre chose.
« C’est un moyen de fuir le chômage parce que nous n’avons rien à faire au quartier », explique Serges Alain. Pourtant ce secteur d’activité est régi par la loi et obéit à certaines règles. Néanmoins il nécessite une formation adéquate assurée depuis quelque temps par l’Université catholique Saint-Jérome de Douala. Toutefois, « il y a des pièces à fournir pour être un agent ou un promoteur immobilier à la délégation régionale de l’habitat et du développement urbain », explique le délégué. Cependant on remarque que si l’action de ces « chasseurs de trésors » prospère, la faute incombe également à certains bailleurs qui s’engagent eux-mêmes à travailler avec eux. « Dans un pays normal, on ne peut pas entrer dans un immeuble sans passer par un agent immobilier. Au Cameroun, même les bailleurs ne maîtrisent pas les contours du bail, y compris les locataires. Nous demandons aux propriétaires d’immeubles et aux locataires de toujours s’approcher des opérateurs immobiliers afin d’éviter des désagréments », précise t-il. Egalement on note un relâchement des pouvoirs publics qui n’ont pas des moyens et pratiques pouvant permettre de réguler le secteur.
Il faut noter que selon la loi, « un contrat de bail s’établit chez un notaire. La loi indique que c’est l’agent immobilier qui sert d’intermédiaire entre le bailleur et son locataire ». Mais personne ne veut avoir à payer les honraire du notaire. On préférée le maquis et la jungle des escrocs de ce secteur.
Le délégué régional de l’habitat et du développement urbain apporte des précisions sur la profession d’agent immobilier au Cameroun.
On constate qu’il y a plusieurs agents immobiliers qui exercent dans la clandestinité à Douala.
Quels sont les moyens mis en place par l’administration pour assainir ce secteur d’activité ?
La délégation régionale travaille en collaboration avec les personnels immobiliers. Mais depuis un certain temps nous avons baissé les bras parce que nous nous sommes retrouvés dans une situation où on ne pouvait plus continuer avec cette mission, ces aventuriers ont refait surface et de plus belle. Ce que nous comptons faire, c’est de relancer cette opération d’assainissement du secteur immobilier dans la ville de Douala et aussi dans d’autres villes de la région du Littoral. Puisqu’on va reprendre tout à zéro, il y aura une première phase de sensibilisation sur le terrain, par la suite on passera à la phase répression.
Quelles sont les conditions à remplir pour être un agent ou un operateur immobilier ?
Il y a une longue liste de pièces à fournir, ajoutée à une garantie qui est de 15 millions pour les agents immobiliers et de 25 millions pour les promoteurs immobiliers. On va certainement croire que cette garantie est élevée, mais il faut comprendre dans cette garantie le souci du gouvernement de ne pas accepter les aventuriers de cette profession qui est nouvelle au Cameroun et que nous tenons à protéger. Quant on observe la pratique ailleurs, on se rend compte que c’est une profession avenir.
Quels conseils vous donnez aux habitants en quête d’un logement afin de les protéger des mailles de ces aventuriers ?
C’est assez malheureux cette situation. Mais nous informons toujours ceux qui viennent auprès de nous. Si quelqu’un veut entreprendre une transaction immobilière, la meilleure solution s’il ne connait pas un agent ou un promoteur immobilier est de se rapprocher de la délégation. La ville de Douala regorge à elle seule d’une trentaine d’opérateurs agrées. Nous mettons ainsi à leur disposition la liste des opérateurs agrées. Mais s’ils vont dans l’informel, ils vont se retrouver dans une situation d’arnaque.
Quelles sont les sanctions prévues par la loi en cas d’arnaque ?
La loi a prévu un certain nombre de sanctions sévères pour ceux qui exercent dans l’informel. Elles vont de la rétention du matériel de travail à des condamnations. Nous travaillons à cet effet avec les autorités administratives, les forces de l’ordre et autres.