Marchés publics : Ces délits d’initiés

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Décidément, la fin des comportements mafieux dans le domaine des marchés publics au Cameroun n’est pas pour demain. Car aujourd’hui, comme hier, la floraison des  pratiques indécentes persiste, l’enjeu étant toujours la volonté de contrôler  l’importante manne financière que représente la part du  budget de l’Etat consacrée au fonctionnement des administrations publiques et à l’investissement. Sinon, comment comprendre l’indignation et le cri d’alarme des prestataires de services de l’Etat  ?                                                

Leur sentiment d’amertume a été exprimé le 29 avril dernier à Yaoundé,  dans le cadre des activités du Syndicat national des prestataires des marchés publics (Sypremap), qui a organisé une réflexion sur l’impact des marchés publics sur l’émergence du Cameroun. A cette occasion, le président national de cette corporation, Pierre Dinogui, a dénoncé avec véhémence les maux qui minent leurs activités, et dont le moindre n’est pas l’affairisme de certains gestionnaires de la fortune publique, toutes positions hiérarchiques confondues. Concrètement, en ce qui concerne les marchés de gré à gré,  ceux de moins de cinq millions de F encore appelés «  4,9 », dont l’attribution ne donne  pas lieu à la concurrence entre soumissionnaires, les prestataires professionnels dénoncent l’abus de positions dominantes exercé par des sociétés-écrans qui ont un effet d’éviction sur la majorité.

En clair, l’activité de prestataire est en train d’être confisquée par des fonctionnaires gestionnaires de crédits. Ceux-ci créent des établissements et cherchent des hommes de main pour assurer leur couverture. D’une manière empirique, on constate de nos jours que plusieurs  gestionnaires de la fortune publique se sont accaparé de  presque l’essentiel des « 4,9 », étant devenus eux-mêmes les fournisseurs, donc, juges et parties, s’attribuant à eux-mêmes des marchés par des stratagèmes et des prête-noms. Ailleurs, être juge et partie est un « délit d’initié » puni par la loi. Mais,  ici, le problème est que la pratique concerne des fonctionnaires qui usent de leur pouvoir discrétionnaire ou régalien pour créer et profiter des rentes de situation. Selon un juriste ayant pignon sur rue, la loi camerounaise parle dans ce cas d’ « intérêt dans un acte ». Cela se traduit par le fait qu’un directeur dans une administration centrale donne des  marchés à des entreprises dans lesquelles il a ses intérêts. Ce sont des sociétés qui font écran pour qu’on ne sache pas exactement qui se cache derrière, alors qu’il n’y a pas de différence entre lesdites sociétés et le gestionnaire qui leur attribue des commandes publiques. 

Si la réglementation autorise ces gestionnaires à donner les marchés de gré à gré à qui ils veulent, au nom de leur pouvoir discrétionnaire, il y a cependant quelque chose d’injuste dans cette démarche pour ne pas dire plus. A quoi ressemblerait en effet un pays où la bourgeoisie des fonctionnaires s’accapare d’une partie non négligeable des fonds publics, au détriment d’une catégorie d’opérateurs économiques qui  contribuent au recul du chômage ? Cette interrogation s’impose, d’autant plus que selon un Cabinet-conseil partenaire du Sypremap, une étude en cours montre déjà que plus de 75% de Pme exerçant dans les marchés publics demandent des attestations de non activités, parce qu’elles ont réalisé des chiffres d’affaires néants pendant plusieurs années consécutives.

Que 18% ont une activité relative et 7% sont réellement en activité et consomment 94% du budget de fonctionnement, et généralement, disparaissent après quelque temps sans laisser de trace. Le fait pour des  gestionnaires de créer des établissements pour s’attribuer des marchés par des prête-noms entraîne le non- renouvellement de la classe des prestataires, dont beaucoup sont voués à la disparition. En outre, la concentration des richesses à leur niveau pose avec acuité le problème de la répartition inégale des fruits de la croissance. D’autant plus que même les personnes utilisées comme couverture sont régulièrement victimes d’abus de confiance, « les dépannages » auxquels ils ont droit en termes de commissions étant hypothétiques et donnant lieu au chantage. En définitive, il faut dire non au clientélisme et à l’égoïsme, parce que toutes les catégories sociales ont le droit de s’épanouir. Les  gestionnaires de crédits concernés doivent faire preuve d’esprit civique dans la gestion distributive de la fortune publique. En s’enrichissant tous seuls, ils auront au moins perdu le sens de l’honneur.