NAVIGATION AÉRIENNE : " Je suis Camerounais, mais je ne prends pas Camair-Co"

Affaire de mœurs à Bafoussam

C’est le mot que la plupart de Camerounais vivant à l’étranger se sont passé. Ils revendiquent leurs hérédités camerounaises, mais ils ne tiennent pas à servir de cobayes sur les appareils de la compagnie nationale.

L’histoire prêterait à sourire, mais elle est dramatique au fond. Elle rappelle de très loin le bouquin à sensations du compatriote Gaston Kelman, Noir de peau, mais qui a troqué sa nationalité camerounaise contre une identité bourguignonne convaincue. Ça fait plus chic, même si le cousin de Ngog quekchoz ne mange ni du manioc qu’il n’aime pas, pas plus qu’il ne goûte au Mbongo, sauce noire au poisson d’eau douce ou à la bonne vipère des savanes du Centre. Mais cette fois, les choses sont plus sérieuses. C’est des Camerounais qui parlent.

Parmi eux, certains n’ont pas encore songé à prendre la nationalité française, même s’ils vivent depuis un quart de siècle au pays de Jacques Chirac. Il ne faut surtout pas leur jeter la pierre. Il y a deux ans, alors que le Néerlandais Alex Van Elk officiait encore aux commandes de Camair-Co, des Camerounais résidant en France voulaient bien faire un tour au pays à bord de la toute nouvelle compagnie nationale qui renaissait des cendres de la vielle tante Cameroon Airlines de nos amours. Manque de pot pour eux, nulle part où faire sa réservation, ou même s’acheter un billet. Et le jour qu’on réussissait l’exploit d’en trouver un, l’avion ne venait simplement pas. Vol annulé, parce que l’avion venait d’être saisi par un huissier français…

Il est bien loin le temps où on disait que la compagnie camerounaise desservant la capitale française par Boeing 747 était un monde de privilèges. La plupart des Camerounais ne tiennent simplement pas à servir de cobayes avec la nouvelle compagnie et prennent leur réservation sur Air France, Brussels ou Swiss international.

Peur d’arriver en mille morceaux…

La défection des avions n’a rien à voir les désagréments vécus avec leur compagnie. Le traumatisme remonte à plus loin encore, au crash de la compagnie qui avait laissé un joli paquet de cadavres au sol. Sur les causes du crash, on a entendu mille versions. La défaillance de la maintenance alors assurée par les Sud- Africains qui vont payer, même si on sait aujourd’hui que le crash était du à une erreur humaine grossière : le pilote a raté la piste et a tout bêtement remis les gaz comme s’il avait été sur un F 16. Un crash d’avion est un événement tellement exceptionnel qu’il ne survient pas tous les jours. Mais avec la compagnie nationale camerounaise, en cas de bobo, petit ou grand, on doit se démerder pour payer de sa poche. Les assureurs de la compagnie camerounaise se sont tous défaussés.

Personne à bord de l’avion n’a pu être indemnisé/ Ni le personnel commercial navigant, ni les mécanos à bord, et ni même les pilotes eux-mêmes. Et pas davantage l’appareil lui-même. La preuve, après ce crash, l’aéronef n’a pas été remplacé. Les familles des victimes se sont contentées d’un petit pécule pour organiser les obsèques. L’assureur, en l’occurrence Chanas & Privat était défaillant. Et Issa Tchiroma a le beau rôle dans sa communication sur le scandale. Il fait venir un expert, Martin Abega, qui n’était pas dans la maison au moment du crash pour disqualifier les prétentions de l’unique survivante de la tragédie. Or les Camerounais savent aujourd’hui qu’il a circulé beaucoup d’argent autour de ce crash. Et l’un des bénéficiaires de ces milliards versés par les Sud-Africains n’est autre que le ministre de la communication lui-même, qu’on crédite d’une petite fortune dans l’immobilier au pays de Nelson Mandela.

Parce que La vie de l’homme ne vaut rien…

Tout est dans le prix que les uns et les autres attachent à la vie humaine. Elle a en tout cas plus de valeur pour les Sud- Africains que pour les Camerounais. Pour cette responsabilité non établie dans le crash, les Sud-Africains vont payer 30 milliards aux Camerounais. Côté Cameroun, les protagonistes de cette monstrueuse gabegie sont connus. Dans l’ordre, Amadou Ali, secrétaire général à la Présidence de la République au moment du crash. Il avait monnayé le dossier à un certain Milla Assouté, le moderniste démissionnaire du Rdpc qui a revêtu un moment la casquette de procureur pour accabler Jean Foumane Akame, le conseiller juridique du Président Biya, ouvertement accusé d’avoir fait main basse sur le pactole sud-africain.

Après avoir aboyé un long moment, Milla Assouté s’est définitivement tu : il paraît qu’on a acheté son silence pour quelque trois millions de dollars. Parmi les bénéficiaires de la générosité des Sud-Africains, on retrouve en bonne place un certain Louis-Paul Motaze, directeur commercial à la Camair et aujourd’hui secrétaire général des services du Premier ministre. Avec lui, Joseph Belibi, PCA de la compagnie et ex-mari d’Esther Dang de la SNH. Et bien sûr aussi, Issa Tchiroma, ministre de la Communication et ministre des Transports au moment des faits. Des analystes ont tôt fait de tirer les conclusions.

Aujourd’hui encore, l’argent des rétro-commissions du contrat de maintenance concédé aux Sud-Africains continue à nourrir les comptes bancaires de tout ce beau monde en France. Les rescapés de l’accident ont été priés d’aller voir en enfer si le Bon Dieu y est.

La conspiration du silence

On comprend alors l’acharnement qu’Issa Tchiroma déploie à disqualifier les dénonciations de Marafa Hamidou Yaya. Et pourquoi aussi personne ne va se décider à ouvrir le dossier de ce crash. Trop de personnes y ont trempé et il n’est pas exclu que Paul Biya lui-même sache la destination prise par les milliards sud-africains. Peut-on alors faire confiance en la compagnie nationale aérienne d’un tel pays ? Et de plus, une compagnie aérienne peut-elle affréter un avion sans une police d’assurance en règle ? Il paraît que tout est possible. En 1995, avant l’entrée dans son capital de la SNH et avant que Casalegno ne rachète le portefeuille de la Socar, Chanas & Privat n’était que simple « courtier ». On voit mal comment un courtier aurait pu assurer seul les risques d’un avion. Mais on est au Cameroun dans une formidable cour de miracles. Les conséquences sont là, les Camerounais savent désormais qu’en cas d’accident sur un vol Camair-Co, personne ne sera dédommagé, l’argent s’il y en a, finira dans les poches de certaines têtes couronnées couvertes par une immunité absolue.

Nana Sandjo et le challenge de la communication

Voilà donc Nana Sandjo, le nouveau directeur qui doit batailler sur tous les fronts en même temps. Contre des concurrents de loin plus puissants, travailler à rassurer les clients camerounais qui traînent encore les pas, et qui ne reviendront sûrement pas pour des excédents de bagage qu’on voudra bien laisser passer. Pour l’instant, le directeur général à qui on vient de refiler des avions qu’il n’a jamais demandés est plus occupé à organiser des campagnes qui devraient donner une autre vision du management de l’entreprise. Il n’est cependant pas facile de rassurer la clientèle quand on a la réputation ternie par des antécédents similaires à ceux de 1995. Et Marafa a certainement le mauvais rôle d’avoir trop insisté pour que les victimes du crash soient indemnisées. Tant pis, le mal est fait : au Cameroun la vie d’un homme ne mérite pas qu’on s’y attarde. Ni qu’on se saigne un peu au préjudice de son compte bancaire.